La façon de représenter visuellement une musique implique et révèle un certain nombre de choix relatifs aux objectifs de la recherche. Ces objectifs, ainsi que les outils analytiques sur lesquels je m’appuierai, sont définis dans le chapitre II. Ceux-ci sont développés dans le cadre de transcriptions qui reprennent la portée à cinq lignes. En effet, même si cette représentation graphique est issue de principes inhérents à la notation occidentale, l’histoire de l’analyse en ethnomusicologie a montré qu’elle pouvait être utilisée pour transcrire la dimension mélodico-rythmique d’un certainnombre de musiques à travers le monde1 . Néanmoins, deux difficultés théoriques se présentent. La première concerne la représentation des hauteurs de notes, et la seconde, leur insertion dans un cadre non mesuré.
Pour bien évaluer le problème posé par la représentation visuelle des hauteurs de notes, il ne faut pas oublier que les exécutants auxquels je me suis intéressé ne sont pas des musiciens professionnels. De fait, il est possible que, d’une répétition à l’autre, une hauteur ne soit pas rigoureusement la même. Mais cette difficulté peut être résolue, précisément, grâce aux répétitions qui ont lieu d’une phrase à l’autre et qui permettent de détecter un écart sensible par rapport à une hauteur considérée comme une norme (selon sa place récurrente au sein du syntagme).
À propos du caractère non mesuré des notes inscrites sur la portée, voici comment le problème a été traité. Pour les pièces construites selon un mètre non régulier, les valeurs rythmiques ont été réparties, à partir d’une observation statistique, en trois catégories : les valeurs longues (symbolisées par des rondes), les valeurs courtes (symbolisées par des noires sans hampe)2 et les valeurs très courtes (symbolisées par des doubles croches inscrites dans une fonte réduite).
Dans le cas des mélodies articulées selon un mètre régulier, leur représentation reprendra les valeurs rythmiques de la théorie occidentale classique.
En plus des symboles couramment associés à la portée à cinq lignes, voici un certain nombre de sigles et d’abréviations auxquels j’aurai recours dans les représentations graphiques :
[…] (au-dessus de la portée) : des paroles non chantées sont prononcées en dehors de la structure scalaire de la pièce ;
[1-4] (au-dessus de la dernière portée) : les chiffres entre crochets désignent l’ensemble des portées inclues dans la ligne modélisée de la pièce. Ici, il s’agit des portées 1 à 4) ;
n. m. : pièce non mesurée ;
: respiration vocale ;
: temps d’arrêt dans la performance (indiqué seulement dans un cadre mesuré) ;
(au-dessus d’une note) : la hauteur de la note est légèrement plus haute que sa représentation visuelle ;
(au-dessus d’une note) : la hauteur de la note est légèrement plus basse que sa représentation visuelle ;
: point d’orgue court (indiqué seulement dans un cadre mesuré) ;
: point d’orgue long (indiqué seulement dans un cadre mesuré) ;
: valeur rythmique raccourcie (indiquée seulement dans un cadre mesuré) ;
+1/2 t. (au-dessus de la portée) : le diapason de la pièce a progressé d’un demiton;
-1/2 t. (au-dessus de la portée) : le diapason de la pièce a diminué d’un demi-ton ;
(devant une note) : glissando ascendant ;
(devant ou après une note) : glissando descendant ;
D+1 (D+2, +3, -4) : le diapason de la pièce a été haussé à des fins analytiques d’un demi-ton (ou de 2 demi-tons, de 3 demi-tons ou encore abaissé de 4 demi-tons)3 ;
* = mouvement de la langue effectuée de haut en bas pendant l’émission d’un son chanté (typique des berceuses ouzbèkes) ;
v.t. (au-dessus de la portée) : passage chanté en voix de tête ;
: le diapason original de la pièce a été haussé d’une octave sur la transcription (lorsque l’octave est baissée d’une octave, le chiffre 8 est placé sous la clef de sol) ;
Chaque pièce musicale est identifiée par une fiche signalétique située en haut à gauche de sa transcription. Elle contient un numéro d’identification précédé de l’abréviation Ex. (pour Exemple), et suivi entre parenthèses de l’adresse internet où elle peut être écoutée. Puis, figure le répertoire auquel la pièce appartient (et son titre en langue vernaculaire). Le nom de son interprète incluant sa date de naissance, enfin le lieu (pays, ville) et la date d’enregistrement sont également fournis. Voici la fiche signalétique de la première pièce, un modèle systématisé à l’ensemble des pièces analysées dans l’ouvrage :
Ex. 1 (lasteppemusicienne.oicrm.org/Exemple_01)
Mélodie huchée de vache (Hôô-hôô)
Ooržak Pal’ma, née en 1932
Touva (Buren-Hem), août 1998
Quant aux représentations graphiques fournies dans le corps de l’ouvrage et à partir desquelles les analyses seront développées, la transposition des pièces est indiquée par le symbole D (pour diapason), suivi d’un plus (+) ou d’un moins (-) et du nombre de demi-tons affectés. Par exemple, la mention D-1 placée en haut à gauche de la première représentation graphique du corpus analysé (Ex. 1) signifie que le diapason original de cette pièce est baissé d’un demi-ton.
Pour rappel, les représentations graphiques sont scindées en lignes, numérotées par des chiffres arabes. La dernière de ces lignes est constituée d’une modélisation indiquant de façon synthétique la valeur structurale attribuée à chaque hauteur de note. Enfin, chaque pièce est découpée en cellules identifiables par une lettre de l’alphabet latin, et elles sont séparées les unes des autres par des lignes en pointillés. Ainsi chaque transcription se lit comme un tableau. Pour faciliter la compréhension des principaux termes utilisés dans la description analytique des pièces musicales, ils ont tous été reportés dans un glossaire fourni à la fin de l’ouvrage. Enfin, les paroles des mélodies vocales ont toutes été transcrites et traduites. Elles sont regroupées en annexe selon le numéro d’identifiant qui leur est attribué dans les chapitres d’analyse.
- En ce sens, certains styles musicaux se prêtent moins au type de représentation développé ici. Voir, en contexte persan, les problèmes posés par les échelles, l’ornementation ou encore par le rythme dans les musiques de tradition savante (Caron et Safvate, Musique d’Iran, p. 124 et suivantes, p. 138 et suivantes). [↩]
- À ne pas confondre avec les notes ornementales de la ligne modélisée de chaque pièce (« à la Meyer ») qui sont elles aussi représentées par des noires sans hampes. Pour rappel, ces dernières renvoient à une hiérarchie structurelle alors que dans la représentation graphique de chaque phrase (« à la Ruwet »), les noires sans hampes renvoient à un principe hiérarchique d’ordre rythmique. [↩]
- Étant donné que les transcriptions n’ont pas été réalisées dans un but prescriptif, les indications
renvoient aux transformations apportées à chaque pièce par rapport à l’original (diapason, transposition,
etc.). C’est la raison pour laquelle l’indication D+1 ne signifie pas que la transcription doit être lue un
demi-ton au-dessus, mais décrit une transposition motivée par des considérations analytiques menées dans
un but comparatif. [↩]